Ne cherchez pas d'où ils
sortent, ni même où est-ce qu'ils vont. Ne vous demandez pas en quoi consiste
leur action, ni dans quel but ils l'entreprennent. En règle générale, ne perdez pas
de temps à analyser quoi que ce soit qui les concerne. Et surtout, SURTOUT,
n'essayez pas de comprendre pourquoi les Robins des Bois s'appellent les Robins
des Bois.
Regardez seulement leurs sketches, de préférence à la suite d'une journée de
boulot bien banale et conditionnée (comme on les aime), énième photocopie
noir et blanc d'un original qui manque cruellement d'originalité. Et
lavez-vous, oui, débarrassez-vous de cette ternissure dont vous empestez, cette
ternissure usante qui vous colle à la peau depuis trop de temps. Explosez, et
faites ça bien : BIENVENUE CHEZ LES ROBINS DES BOIS.
Les Robins des Bois constituent la
troupe de comiques à l'humour le plus ragoûtant que je connaisse. Formé de
six éléments nécessaires et complémentaires (Jean-Paul Rouve, Maurice
Barthélémy, Marina Fois, Élise Larnicol, Pierre-François Martin-Laval et
enfin Pascal Vincent), ce collectif d'enfants grandis a mis au point, à force
d'isolement dans un petit monde parodique très vite rattrapé par une bonne
dose de démesure, un humour à mon sens exceptionnel, qui a le pouvoir de
cultiver en permanence chez le spectateur une envie irrésistible de péter un
câble, de se mettre à gueuler un bon coup sans raison apparente, d'écraser
furieusement sur son crâne (ou sur ceux des L5) tout un lot de marteaux géants
façon Nicky Larson... De foutre le feu à la baraque bien rangée et coquettement
décorée de la Raison.
Ce désir puissant et appréciablement irrationnel de tout foutre en l'air, ce
n'est bien évidemment pas nouveau. On en avait déjà fait l'expérience avec les
dessins animés de Tex Avery (toujours aussi cultes), et pas plus tard qu'hier
avec le dernier Gilliam, Las Vegas Parano, et ses hilarantes orgies de
frénésie (et, par voie de conséquences, la plupart des délires géniaux des
Monty Python). Seulement voilà, la bande des Robins des Bois possèdent juste un
petit quelque chose de plus, un petit plus qui n'est pas n'importe quoi, pour
sûr : le jeu de scène. Car c'est sur le modèle d'une pièce de théâtre (en
toc) que les divers types de sketch ont été élaborés.
Tout le procédé consiste alors à partir d'une situation généralement
anodine (un rendez-vous chez le dentiste, une convocation au commissariat, une
inscription à l'ANPE, un accouchement...), puis à y laisser le non-sens
s'immiscer un peu plus dans chaque dialogue, chaque geste et chaque attitude de
chaque personnage, pour finir en une apothéose des plus absurdes qui prend la
forme d'un indescriptible pétage de plombs où les décors bidons se casseront
entre autre la gueule...
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C'est précisément le souvenir de
ce cadre théâtral génial qui me pousse à regretter l'époque bénie de La
Grosse Émission première du nom, où la chaîne Comédie! mettait tout à
disposition pour que les Robins puissent idéalement mettre en scène leur
formidable show. Une primordialité dont Canal+ n'a manifestement pas su tenir
compte, en orientant les délires de la troupe vers un formatage télévisuel
malheureusement incohérent avec la primitivité et l'archaïsme qui avaient
fait sa gloire humoristique (et non économique). Cependant, pour le bonheur des
fans, Comédie! a eu la bonne idée de sortir un DVD de plus de trois heures
récapitulatives des très bons moments passés au sein de la chaîne, un achat
que je vous recommande, évidemment : Les Robins des Bois sont des cons et
toujours des cons (Florilèges de sketches 1 et 2).
Ce n'est pas un hasard si initialement, les Robins des Bois ont été lancés
par Dominique Farrugia. Si leur humour et celui des Nuls ont indéniablement en
commun cette absurdité récurrente, c'est là encore l'outil scénique qui fait
toute la différence. Contrairement au clan des Nuls, dont la méthode de
construction réfléchie permettait de tourner en dérision totale divers
éléments caractéristiques du monde de la télévision, la performance des Robins
brille par la prestation constamment outrancière des six membres, laissant une
part gourmande d'imprévisibilité, et de ce fait, le champ libre à
l'improvisation. Ainsi, les passages où le contrôle leur échappe deviennent
franchement très drôles (cf. "Le pet des Robins des Bois", proposé
en bonus du DVD).
En réalité, les Robins des Bois n'ont à aucun moment le contrôle de leurs
sketches, puisque la préparation et la répétition de chacun d'entre eux reste
volontairement très légère, afin de laisser une grande liberté à
l'évolution générale et à la tournure que peuvent prendre les choses. Non,
chez les Robins des Bois – et c'est d'ici que provient ma passion pour cet
humour à priori lourdingue voire scatologique –, le véritable roi c'est le
non-sens, c'est lui qui triomphe de tout, c'est lui qui contrôle tout. Pour
aller plus loin, il n'est pas rare de se faire surprendre non seulement par des
répliques, des réactions, des actions qui sortent de nulle part, mais aussi
par le fait que c'est dans ses instants que l'on éclate le plus de rires :
moins il y a de sens, mieux c'est. Ca résume bien les choses. Et en
illustration de tout cela, je vous conseillerai de visionner le sketch qui se
déroule au commissariat, et de vous écrouler sous le numéro complètement fou
du duo Jean-Paul Rouve / Maurice Barthélémy en flics surexcités. Je ne dirai
rien d'autre, c'est de la folie furieuse, point ! (d'exclamation :-)
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"Résumé du DVD
:
Brett est amoureux de Dora, mais Dora se refuse à lui. |
Finalement, ce que nous décrivent à merveille les Robins des Bois dans leurs sketches les plus réussis (la thérapie de groupe, le télé-achat avec l'aspi-chat, l'interview de radio vaseux, le cabinet de M. Marcadet, etc...) n'est rien d'autre que la réalité quotidienne et infiniment ennuyeuse en très mauvaise posture, c'est-à-dire sortant violemment de ses gonds, et sans raison, rebondissant contre les murs, sautant au plafond et faisant un gros trou dedans pour s'envoler au-delà de la stratosphère... En somme, tout ce que l'on aimerait voir de nos propres yeux lors d'une journée de boulot bien banale et conditionnée, énième photocopie noir et blanc d'un original qui manque cruellement d'originalité.
Mad Dog, mai 2002
N. B. : Notez que les Robins des Bois font une apparition survoltée dans le très bon Serial Lover de James Huth, un pur objet de délire visuel dont le scénario part lui aussi en vrille totale pour donner lieu à un festival d'humour noir barré et d'absurdités finies. On y croise entre autres Michèle Laroque dans une composition génialement crispée, ainsi que l'excellent Albert Dupontel dans le rôle du flic mystique... Culte selon moi, au même titre que La Cité de la Peur, le film de Les Nuls.