Jane Birkin
chez Serge Gainsbourg
Chaque chose en son temps. C'est ce
qu'on dit, n'est-ce pas ? Et bien à l'heure où les Mylène Farmer, Hélène
Segara, Lara Fabian et autres Céline Dion (par ordre croissant de puanteur,
même si l'on pourrait évidemment ajouter à cette liste des tas d'autres
moisissures), il me semble qu'il est grand temps de regarder en arrière pour se
pencher sur une artiste féminine (et surtout française, ou plutôt
"francisée" puisque de nationalité anglaise) qui en vaut vraiment le détour. Il faut dire qu'elle fut continuellement
portée par l'homme le plus vénérable que la chanson française ait jamais
rencontré, avant que l'on ne jette cette dernière aux lions – lesquels
demeurent franchement intimidants avec leur vulgaire gueule de Garou mal léchée.
Jane Birkin n'aurait probablement rien été sans Serge Gainsbourg. Ou en tout
cas, elle n'aurait pas été aussi grande. Il est vrai que ses talents ne se
limitaient pas au chant, mais s'étendaient largement sur la comédie (elle fut
révélé dans le classique d'Antonioni Blow Up, 1966). Toutefois, le
scandale provoqué par l'enregistrement de Je T'aime, Mon Non Plus en
1969 n'aurait-il pas servi de tremplin décisif à la carrière de la
jeune actrice anglaise ? Une chose est sûre : sans Serge Gainsbourg, peut-être
une Jane Birkin, oui, mais certainement pas de Jane B.
Mais à la
rigueur, on s'en tape le coquillard avec une queue de homard femelle de tout
cela (on s'en tape quoi). Parce qu'il est nettement préférable de parler de ce
qui s'est réellement passé, plutôt que d'aller imaginer je ne sais quelle
version hypothétique des choses qui ne nous mènerait nulle part.
Jane Birkin a donc enregistré toute
une collection de chansons pop doucement inoubliables, à compter de 1968 jusqu'à la fin des années 80. Autrement dit, depuis sa
rencontre avec Gainsbourg jusqu'à la mort du Monsieur, grosso-modo. Rien qu'en
usant de cette donnée, on peut affirmer que tous les morceaux en question n'ont
rien à voir avec le résultat sympa d'une collaboration bienvenue, mais peuvent
d'emblée se définir comme la fusion artistique de deux sensibilités à priori
opposées et pourtant si voisines, le fruit précieux d'une alliance
particulièrement réussie entre un homme et une femme. Quoique. Il est possible
que je fasse fausse route, pardonnez-moi si c'est le cas.
Il serait peut-être plus convenable de parler d'outil (en vidant le terme de
tout ce qu'il a de péjoratif) pour désigner le travail de Jane avec Serge.
Jane Birkin chante Serge Gainsbourg, et elle le fait mieux que quiconque,
évidemment, puisqu'ils forment tous les deux le couple le plus honorable de
l'histoire de la variété française, et pourquoi pas de l'histoire française
tout court (soyons fous). De plus, Serge a écrit toutes les chansons de Jane, sans
exception ; ça ne sonne pas Gainsbarre, et pourtant si, on pourrait le sentir
de loin que c'est du Gainsbarre.
On en vient aux conclusions, pas si troublantes que cela : les chansons de Jane
Birkin constituent quelque part l'exploitation de la partie féminine de
Gainsbourg. On range certes sa vulgarité aussi poétique qu'outrancière au
placard, mais on y parle globalement des mêmes choses : les putes (Lolita
Go Home), les bourges (Les Dessous Chics), le fric et ses illusions (Baby Alone in
Babylone), le cul (Je T'aime, Moi Non Plus)...
Cette rencontre un peu hasardeuse
avec la jeune Anglaise (elle a lieu un peu par hasard sur le tournage du film Slogan en 1968,
à la suite d'une
modification de dernière minute : Birkin à la place de Marisa Berenson) ouvre
instantanément une voie alternative à la carrière de l'artiste déprimé (à
ce moment, Gainsbourg sort tout juste de sa relation tournée au vinaigre avec
Brigitte Bardot). C'est d'abord une nouvelle occasion pour lui de nourrir son
inaltérable soif de créativité : nouveau terrain, nouvelles motivations,
nouvelles compositions.
Mais cette collection de chansons représente aussi et surtout pour lui un moyen
évident de s'évader de sa propre image, à une époque où il semble n'exister
plus qu'au travers de sa réputation de provocateur-né. En magicien lassé,
Gainsbourg ose un ultime tour de passe-passe : s'éclipser de la scène sans
crier gare, passer dans l'arrière-salle pour mettre au point des morceaux de
toute beauté, et revenir aux devants avec dans les mains un long chapeau rempli
à ras-bord de ces petits bijoux-là. Bon, je schématise un peu là, mais ça
ressemble grossièrement à cela.
Bien entendu, le grand Serge n'aurait jamais pu explorer cette zone mal
éclairée de sa personnalité sans aide extérieure. Tout simplement parce
qu'il ne possédait pas l'outil adéquat. Sauf qu'ici, l'outil est aussi source
d'inspiration, et parfois même objet direct (cf. Jane B et Histoire de Melody
Nelson). Et l'on finira là-dessus : la
complicité (et donc l'amour, avec un grand 'A') de Jane Birkin a permis à
Serge Gainsbourg d'obtenir enfin le feu vert pour enregistrer de vraies pop-songs
aussi fragiles que mélodieuses, sucrées ou plus amères et sans antiphrase, sans distance,
sans ironie. La liste est longue : Di Doo Dah, Ex Fan des Sixties,
La Fille aux Claquettes, Mon Amour Baiser, mais aussi La Ballade de Johnny
Jane, Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve, Baby Alone in
Babylone, Yesterday Yes a Day, En rire de peur d'être obligée
d'en pleurer, etc, etc, etc...
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- Les commentaires très classe de deux de ses albums
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