Gorillaz
La dark-pop dans tous ses états

Présentation : les Gorillaz sont constitués d'un quatuor de musiciens dynamiques. Alors il y a Murdoc, un sale punk-guitariste peu attirant, 2D, chanteur plutôt calme et propre sur lui, Russel, batteur stocos et indiscipliné, et enfin Noodle, une petite Japonaise speedée qui a pour habitude de s'exciter sur sa guitare ; et tous ont des allures de cartoons humoristiques et stylés.
Première remarque : les Gorillaz aiment bien s'amuser. Car au travers de cette mise en scène sympathique et délirante se cache une ribambelle d'enfants grandis, de gamins cultivés, de mioches géniales, bref rien qui ne s'apparente vraiment à quoi que ce soit d'adulte. En tête de file, Damon Albarn, le leader de Blur, allié à une troupe aussi infernale qu'astucieuse : Jamie Hewlett, dessinateur attitré des Gorillaz qui mijotait depuis longtemps un projet avec Albarn, Dan The Automator, producteur californien talentueux à la base orienté hip-hop, et enfin Del Tha Funky Homosapien, un DJ ricain ramené dans les bagages de Dan. Le résultat de cette étonnante collaboration, le voici.

 

1. Re-Hash
Avis à tous ceux qui ne voyaient en Damon Albarn que la jeune rock-star énervée et enfermée entre les quatre pauvres murs de son clip. Maintenant que Gorillaz est arrivé, on comprend ce qui se passait réellement : bloqué à l'intérieur de la zonzon du pop-rock anglais, Albarn suffoquait, n'en pouvait plus, forçant sur la guitare et se jetant brutalement dans les murs pour tenter de trouver une quelconque sortie à cette piaule de merde, à cet horizon puant et inexistant qu'aurait pu être le sien. Son corps et sa gueule étaient là, mais son esprit ailleurs.
Quel soulagement ! Enfin des vacances bien méritées au sein d'un disque où l'originalité est maîtresse. Un disque où Albarn se retrouve à faire le point sur ses goûts, ses talents et ses ambitions. "It's a sweet sensation, over the dub." Le (l'ancien ?) chanteur de Blur a en fait d'autres préférences que de gueuler "Woooo hoooo !!!" à MTV, des préférences bien plus primordiales et bien plus artistiques : la Musique. Et il en fait déjà état dans cette première piste, où il se fait plaisir à lâcher une guitare-speed aux fesses d'un beat style hip-hop des 80's qui lui aussi a la bougeotte.

2. 5/4
Donc avec Gorillaz, Albarn s'échappe, échappe à la norme que Blur avait imposée. Et donc avec 5/4, il se dirige vers un rock délirant et bien nouveau, presque cartoonesque, les nombreux chœurs rigolos en arrière-plan ainsi que les sonorités graves et électros qui ne lâchent que très peu le rythme, et qui se font pleinement entendre à 2'05", en témoignent . De quoi parle le morceau ? Eh bah je vais vous dire une chose : dans Gorillaz les paroles ne sont là que pour accompagner le son et pas l'inverse. Les vraies histoires, c'est la musique qui les conte...

3. Tomorrow Comes Today
Ce track exprime apparemment une nette attirance pour le reggae de la part des membres du groupe, Albarn le premier. Cela concorde à la perfection avec ce que j'ai dis précédemment (pour une fois :-) : il n'aurait jamais eu l'occasion d'affirmer ses réels goûts musicaux en restant avec Blur. Car dans Tomorrow Comes Today, on est en plein dedans, là, au centre de l'intérêt premier de ce projet qui aurait pu faire peur.
Le but, c'est de faire de la musique qui transcrive une culture musicale variée mais qui reste de qualité, une musique à laquelle personne ne s'était encore vraiment essayé, trop menacé par la méchante rigidité de la monstrueuse et hypocrite industrie du disque (rien que ça). Une musique très justement baptisée dark-pop par les petits monstres infernaux du collectif. "Pourquoi un album ne pourrait-il pas passer de la pop au dub et du punk au hip-hop ?" s'interroge simplement Damon Albarn. C'est vrai ça - merde alors - POURQUOI ???

4. New Genious
Lorgnant toujours vers le côté sombre du morceau précédent, New Genious formule quelques conseils d'espoir qui le sortent de l'étrange noirceur-thriller de sa musique. Dans le refrain, Albarn nous explique calmement, d'une voix aiguë et posée, presque fatiguée, blessée : "Brother, sister too / Do what you must do / Don't trust people you meet / When they promise you, that the river ain't deep" = "Frère et sœur, fais ce que t'as à faire, ne crois pas les gens que tu rencontres quand ils te certifient que la rivière n'est pas profonde".
Donc cet album éponyme des Gorillaz est aussi l'occasion pour l'artiste de régler quelques comptes, notamment avec son passé au sein de Blur. Mais bon, là encore le songwriting n'est qu'un détail, on est plus attentif à chaque nouvelle atmosphère qui habite chaque nouveau titre - se baladant avec aisance et dextérité entre reggae dénaturé, hip-hop débraillé et rock revisité - que ce qui est proprement dis. On ne va pas s'en plaindre.

5. Clint Eastwood
On l'entend un peu partout, ce Clint Eastwood s'apparente aux vues des autres morceaux comme l'un des plus optimistes et énergiques. La présence du rappeur - un Anglais pioché par Damon Albarn dans un groupe de hip-hop londonien très underground et dirigé par un certain Phi Life Cypher - y est à coup sûr pour quelque chose.
C'est aussi l'une des pistes sur laquelle Albarn justifie le mieux la formation finalement inévitable du groupe. On le comprend en écoutant le refrain qui résume à lui seul toutes la motivation du projet Gorillaz :

Traduction et explication : "Je ne suis pas heureux. Je me sens juste content, j'ai plus d'un tour dans mon sac (Gorillaz) ; je suis nul (Blur), mais pas pour longtemps car le futur est en train d'arriver (et même qu'il est déjà là)" C'est aussi simple que ça, rien à redire.

6. Man Research
Franchement dub-malade sur les bords, ce morceau, régulièrement parcouru de multiples sons cartoonesques un poil foireux mais pas mal poilants, prouve bien que Damon Albarn est un artiste génial. Comme un bon acteur le ferait pour l'amour de son métier (changer de peau à tout moment), lui se métamorphose pour les besoins de la zique en adoptant une attitude calme et sereine, il s'investit tout entier pour sa musique, celle qu'il aime. Alors, quand à 1'13", les "ya, yayayayaya !" arrivent tels une vague de bonne humeur entraînante, on se jette volontiers dessus sans discussion et là on se met à surfer les yeux fermés (bien qu'on ait jamais toucher une planche de notre vie :-).

7. Punk
Du pur délire, chouette alors, voilà du PUR DÉLIRE !!! Profitez-en ! Balancez vos disques d'Offspring par la fenêtre ! (en faisant bien attention de ne pas toucher les moisissures qui l'entourent avec les doigts) Faite une partie de frisbee avec ! (les gants protecteurs sont grandement conseillés dans le cas d'une telle prise de risques ; si les problèmes persistent, contactez au plus vite votre pharmacien)
Entre deux clap-clap-clap, Albarn se déchaîne - à travers le combiné de préférence - en compagnie d'un sample de guitares électriques passé en boucle, complètement déjanté. Des sifflements et des bips en tous genres viennent détraquer un peu plus ce rock déjà gravement atteint, qui enterre joyeusement les rigolos d'Offspring et compagnie (si ce n'est pas déjà fait). Punk et ses sonorités sont peut-être aussi une manière pour le chanteur de se souvenir des quelques bons jours dont Blur a malgré tout hérités. Mais même si c'est effectivement le cas, c'est fait sur le ton de la joie et de la bonne humeur, il n'y a absolument rien de nostalgique dans cette démarche.

8. Sound Check
A la différence du précédent, ce fabuleux morceau baigne du début à la fin dans une grande mélancolie, que l'on ressent franchement dans la lenteur douloureuse qu'utilise Albarn pour chanter les quelques paroles qui le parcourent, mais aussi dans les samples sourds (presque muets) qui accompagnent le beat lourd et laborieux, creusant ainsi tout en profondeur musicale des allées souterraines dans lesquelles de sombres scratchs viennent de temps en temps s'engouffrer. La feuille grelotte, le mic pleure, les basses grondent. La Terre tremble, produisant d'étranges ondes auditives durant deux bonnes minutes totalement hypnotiques, avant de céder une seconde fois la place à l'envolée vocale et toute neuve d'un Damon Albarn tout triste, sorti de ses pompes, in the sky, à 3'00" précise, créant le contraste et situant ce morceau partout et nulle part à la fois.
Le plus étonnant dans Sound Check est sans doute sa capacité à laisser l'auditeur ému, comme ça, de le paralyser jusqu'à la dernière note, jusqu'au dernier son. Pour cela, les Gorillaz semblent travailler (ou plutôt jouer) sur des choses très subtiles telles que cet aspect un peu crade du son, qui recouvre la grande majorité de l'album mais qui ne se fait jamais aussi fièrement sentir que sur cette piste. Le rythme ne claque pas, ne saccade pas comme dans le hip-hop pur et dur, il rame, il creuse, affaibli de quelques crépitements, fatigué et usé tout comme l'excellente voix d'Albarn. Roulant aux côtés de plusieurs amis tout autant crevés que lui - les notes sourdes et bouffies, entre mélodies et gorgées de basse, ou bien la sorte de souffle poussiéreux qui se faufile entre les pas lourds que forme le beat -, Damon/Murdoc grimpe mine de rien au sommet de l'album Gorillaz, album dont on s'accorde sur bien des plans à penser qu'il est finalement beaucoup plus solo qu'il en a l'air, le ptit malin.

9. Double Bass
Assez louche la sensation que laisse ce morceau instrumental. Mais peut-être pourrait-on trouver une raison relativement simple à cette impression : Double Bass est lui-même assez louche avec son air incertain joué par on ne sait quel synthé, à la sortie duquel des échos synthétiques se chargent d'un grand nombre des notes touffues, bâtissant un tout un peu instable et mitigé, pour le moins assez louche (on va finir par le savoir). Un peu long aussi (presque cinq minutes).

10. Rock da House
Après un interlude plutôt assez louche (si vous voulez je peux le redire une dernière fois, juste pour le fun : "assez louche" :-) mais justifié à la suite du choc infligé par le brillant Sound Check, on revient à des choses plus gorillaziennes (ha ! ha ! c'est moi qui l'ai dit en premier, na !). En effet, on a rarement entendu du bon rap à papa (du style "everybody's in the house, come on baby, move your body") disposé sur un air très 70's (trompette excitées dans le genre Starsky & Hutch, Chérif fais-moi peur ou autres Chips, toutes des séries évidemment éminemment cultes, que les choses soient bien claires :-), par la suite relayé par un air jouissif à la flûte lors de l'arrivée du refrain.
Donc une ambiance très stimulante, qui bouge bien, très funky et très fun en somme. Alors certains diront que "ouais (pas indispensable le ouais en début de discours je reconnais, mais c'est une façon de parler, d'ailleurs maintenant que j'y pense ça ferait une très bonne chronique ça tiens, "Le Ouais en début de discours", ça sonne bien en plus, à retenir ça, très très bon :-), le rap c'est pas fait pour ça, ça doit passer un message, parler des problèmes de société et tout et tout". Hey, ducon, le rap c'est une musique, et comme toutes les autres musiques on peut prendre son pied en l'écoutant, sans forcément ressortir malade-déprimé. Non mais c'est la meilleure ! Ca c'est comme les gens qui n'aiment pas Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain sous prétexte qu'on n'en ressort pas avec des arrières-pensées suicidaires en cadeau-bonus, ça me dépasse vraiment... Nan mais quand même, quelle vision pitoyable du Cinéma et de la Musique !
C'est à cause de personnes comme toi (comme qui ? No sabes... :-) que le hip-hop finit par sérieusement s'enliser à force de se répéter les mêmes mots doux, délaissant toute recherche musicale et surtout toute ouverture aux musiques voisines. Ah nan mais j'vous jure, heureusement qu'il y a des Gorillaz sinon où irait le monde ! (parce bon avec les Saïan Supa Crew et leur son pot-pourri de tous les autres, brouillon à la limite d'un film de Jacques Doillon, je donne pas chère à parier que l'Apocalypse prédite par mon pote Paco ne se serait pas gêner pour nous déranger en plein réveillon de l'an 2000...)
Alors moi, au lieu d'écouter de pareilles âneries, je fait place à Jamie Hewlett qui vient très sympathiquement me soutenir dans mes arguments : "Beaucoup de gosses en ont assez des groupes négatifs à la Eminem, des gens obsédés par le réalisme le plus sordide. Au moins, avec Gorillaz, il y a vraiment un souci de fun, de joie, d'évasion. Mais si notre musique est assez sombre par moments, elle ne poussera personne au suicide." Ah sacré Jamie va ; au fait à quand un ptit barbecue comme la dernière fois, c'était sympa non ?

11. 19-2000
Nouvel épisode au pays du dessin animé des Gorillaz, Murdoc, 2D, Russel et Noodle reprennent du service à plein temps sur ce morceau. On s'amuse, encore et toujours et plus encore que les fois précédentes, avec bien sûr une musique typiquement cartoonesque (échappée d'une histoire où la souris, à défaut de donner des leçons au chat et finir par le martyriser comme dans Tom & Jerry, sympathiserait plutôt deux fois qu'une avec lui pour enfin aller botter le cul à ce sale molosse qui passe ses journées à pioncer dans sa niche, nan mais pour qui il s'est pris celui-là ?! :-) à laquelle viennent s'ajouter à 1'33" un lot de sonorités rigolardes tout droit sorties de... Gorillaz. Aussi, les lyrics bon esprit confirment bien le propos de Hewlett :

The world is spinning too fast
I'm buying lead Nike shoes
To keep myself tethered
To the days I try to lose

My mama said to slow down
"You should make your shoes
Stop dancing to the music
Of Gorillaz in a happy mood"

12. Latin Simone
Petite excursion dans le domaine de la musique cubaine, Latin Simone (ou Qué Pasa Contigo) présente l'intérêt de retrouver l'une des voix du groupe de vieux brisquards Buena Vista Social Club, qui a par ailleurs récemment fait parler de lui grâce à un film-documentaire du même nom sur leur musique. Cette voix c'est donc celle d'Ibrahim Ferrer, 80 ans passés, dont la présence s'inscrit très bien dans la lignée des autres titres du CD, en venant compléter les nombreuses références musicales qui finissent par le nourrir d'une très grande richesse culturelle, très diversifiée et aussi très rarement croisée jusqu'à maintenant dans un même album.

13. Starshine
On pourrait alors se demander qu'est-ce qui rend le son de Gorillaz si novateur et si neuf par rapport aux musiques nouvelles. Parce que bon, le concept reste finalement celui du trip-hop, à savoir organiser des rencontres entre des styles musicaux qui ne se côtoient habituellement pas ou peu, afin d'en tirer quelque chose de commun. Or, le trip-hop existe mine de rien depuis déjà une petite dizaine d'années, lorsque la désormais légendaire Wild Bunch bristolienne et ses membres ambitieux (Daddy G, 3D, Mushroom et Tricky entre-autres) ont un beau jour décidé de concrétiser leur envie de mélanger les couleurs sonores en créant l'incontournable groupe Massive Attack (à présent composé de Daddy G et 3D à la suite du récent claquage de porte de Mushroom) et en sortant en 1992 leur fameux Blue Lines, album détonateur à partir duquel ont par la suite coulé une ribambelle de nouvelles têtes (Portishead, Tricky en solo, puis Morcheeba, Alpha, Goldfrapp, et j'en passe...).
Mais non, malgré un concept très voisin, les Gorillaz ne font pourtant pas de trip-hop. Car il y a une nuance : les groupes qui font du trip-hop survolent plusieurs univers musicaux, tandis qu'eux s'arrêtent sur plusieurs univers musicaux. Par opposition au Big Calm (1998) des doués Morcheeba, qui peuvent mêler sur une même piste des sonorités hip-hop, reggae, soul et pop avec une sophistication toute propre sur elle, aboutissant à des morceaux très riches et très chargés au risque de sonner un peu trop fabriqués, Gorillaz construit chaque morceau avec des éléments limités, des bases qui se révèlent au final être la seule structure habitant la totalité du morceau, et lui donnant ainsi sa propre couleur. Il n'y a qu'à écouter le beat minimaliste mais rusé de ce Starshine (j'allais oublier d'en parler), ainsi que son air préhistorique, passé dans un filtre qui l'apparente à une vieille boîte à musique dark et usée. De cette manière, le groupe parvient avec une grande facilité à donner un ton différent à chacune de ses chansons, changeant à chaque fois les bases de ceux-ci, en prenant soin de les travailler tout de même assez pour laisser une marque de fabrique, en jouant par exemple sur la petite cradeur qui caractérise le son de l'album tout entier et lui cède en définitive une couleur bien singulière : l'empreinte Gorillaz.
Il n'y a qu'une seule explication à cette réussite évidente : c'est le fait que les membres de ce collectif sont issus de milieux différents, et ont chacun eu leur propre parcours et leur propre expérience artistique. Leur rencontre et leur projet à présent concrétisé se justifient par une envie commune de faire avancer les choses, de dégager le hip-hop comme le rock de leurs clichés qui se sont peu à peu forgés avec le temps. Car le trip-hop pur ne le fait pas : lui, il pioche seulement dans les autres musiques dans le but d'en créer une nouvelle. Tandis que ce que s'est fixé Gorillaz est plus de l'ordre de la déviation expérimentale de Radiohead dans le rock alternatif. Dan The Automator, producteur du collectif à qui il doit beaucoup (c'est aussi lui son principal metteur en sons), s'explique : "Eux, ils essaient de nouvelles choses, alors que le hip-hop stagne." Et d'ailleurs voici l'auteur de cette grande phrase en personne (façon de parler) :

14. Slow Country
Un ptit sample de piano bouclé, un air (venté) qui souffle dans le fond, quelques notes de synthé en tête de refrain, sans oublié un ptit Damon Albarn tranquille et posé calmement sur l'instru : Slow Country, ou le bon tempo qui détend, la bonne ambiance qui communique la bonne longueur d'onde, celle de la bonne humeur. Conclusion : tout est bien qui finit bien.

15. M1 A1
Le côté "lofi thriller" qu'annonce le livret du CD est certainement justifiable par tout le début de ce morceau étonnant. On y entend une même parole énoncée plusieurs fois, peut-être extraite d'un film, et pourquoi pas la musique qui l'accompagne avec (des notes aiguës et angoissantes, habituées des bon vieux thrillers). A côté de cette répétition infinie qui finit par stresser plus qu'autre chose (oui on a compris : "Hello, is anyone there ?!"), une guitare (jouée elle sans aucun doute par le groupe) prend de plus en plus d'ampleur et s'énerve peu à peu jusqu'à recouvrir à elle seule toutes les autres couches sonores, réduisant la voix d'origine au statut de cri lointain à l'intérieur de quelque conduit d'aération perdu dans une maison abandonnée depuis des décennies.
A ce moment (1'42"), une batterie tombe à pic (à l'instant où on allait changer de morceau) pour structurer un peu ce vacarme anarchique. Bon alors ce n'est pas pour autant que M1 A1 jouera dans la subtilité, ni maintenant ni plus tard. Au contraire, ça va gueuler rudement et franchement (chouette !!!), autant qu'il faut pour venger le pauvre bonhomme de départ (qui moisit à présent seul dans l'humidité et la rouille des tuyaux métalliques travaillés par la crasse) et amplifier son cri de détresse pour le faire apparaître sur un track d'un album qui marche très bien commercialement (tant mieux), et ainsi le sortir de sa solitude désespérée.
Ce titre, très proche de Punk musicalement, devient un délire forcené qui perd toute notion de raisonnable à partir de la troisième minute, où débarquent une horde de gorilles qui hurlent en cœur des "lalalalala-hey !!!" pour le moins percutants, suivis d'une série notes ascendantes, cinglantes et cinglées. Je ne sais pas vraiment pour quelle raison, mais je ne peux pas m'empêcher d'associer cette musique de dingues illuminés et la sensation de folie libératrice qu'elle me procure à celle que laissent sur leur passage nombre de scènes détraqués de Fight Club...

16. Clint Eastwood - Ed Case Remix
Cette version revisitée de l'excellent Clint Eastwood (dont je n'ai d'ailleurs toujours pas compris la référence du nom, peut-être est-ce par pur souci de provocation), c'est comme si ce dernier était par erreur tombé dans la piscine d'adrénaline que constitue M1 A1 et s'y était noyé, aussitôt transformé en zombie dopé et blagueur. Le BPM (beat par minute, ou tempo si vous préférez mais là ça me casse tout mon effet-pro, alors merci bien :-) a été doublé, la voix d'Albarn ne traîne plus sur le "happey !", elle ne reprend même pas son souffle, passant dans la foulée la main à un rappeur au flow gros comme ça qui semble ressortir d'outre tombe ; on n'avait pas entendu une telle voix depuis l'époque bénie de... la dance ! "Feel my motion, feel my motion / Music is from the street, designed to make you move your feet / Feel my motion, na na na..."
Et pour parachever ce gros gâteau bourré de sucre, la répétition du "is coming on" se voit marquée à 9'00" d'un effet de disparition dans les profondeurs pour revenir progressivement à la surface, sonorité typique de la dance-music, qui nous rappelle avec plaisir l'heure de gloire des grosses daubes interplanétaires mais bel et bien cultes comme l'insurmontable I Like to Move It (je suis sûr que vous vous en souvenez).

 

Pour conclure, Gorillaz est à coup sûr la découverte la plus réjouissante de l'année, comme quoi l'originalité et la liberté musicale ont encore encore de beaux jours devant eux. Le genre de disque à faire tourner en boucle pendant tout l'été, et pourquoi pas pendant tout l'automne (pour se stimuler quant à la rentrée qui s'annonce furieusement maussade), et même tout l'hiver (histoire de se réchauffer en repensant au bel été qu'on a passé en la compagnie de l'album) et tout le printemps (parce que quand même hein, pour chanter et pousser, les ptits oiseaux et les plantes vertes ont bien besoin d'un air de Clint Eastwood), après quoi le ressortir pour l'été suivant me semble une chose tout à fait raisonnable (car il ne faut pas oublier qu'en fait qu'est-ce qu'il est bien ce CD dis-donc).


Mad Dog
, juin 2001